Daniel Bensaïd est mort hier
Il y a une amicale nostalgie dans ce regard.
Daniel Bensaïd pensait qu’il fallait un parti, une organisation, une structure, que la lutte contre ce que j’appelle volontiers les salauds, les mauvais, les cons, les crapules, les petits, les mesquins, les faisans, les minables, ceux qui se goinfrent, les porcs, passait par la politique et que la politique était une affaire sérieuse, jusqu’à la révolution. Daniel Bensaïd fit, à ce titre, de la philosophie en politique et ne lâcha jamais cette ligne. « Crypto », « gauchiste », « ancien de 68 », ce réservoir d’étiquettes destinées à la journaille sans âme et sans idées, rate forcément l’essentiel : il y a des hommes, il en était, qui cherchent les moyens politiques d’en finir avec le monde de ceux qui se goinfrent toujours plus (une définition toute personnelle de la croissance économique). Il y a des hommes sensibles à la grossièreté de leurs « semblables ».
Mais comment en finir ? Difficile en effet de faire de la philosophie en politique en se proposant de traquer les porcs, de pourchasser les faisans et de réduire les minables à grands coups de traits d’esprit, de bons mots et de saines critiques. Alors on se fixe des objectifs, des calendriers, des ordres de marche. On rédige des programmes, on milite, on joue au jeu du pouvoir. Et au jeu du pouvoir, les salauds, les mauvais, les cons, les crapules, les petits, les faisans, les minables, ceux qui se goinfrent, oui les porcs, sont toujours les meilleurs. Alors la lutte reprend de plus belle et plus les hommes luttent plus ils se persuadent que l’homme serait meilleur dans un autre sérieux, avec une autre politique, sans le capitalisme, après la révolution, au terme de toutes les luttes. Et ils jouent encore au jeu du pouvoir. Mais n’y a t-il pas trop de sérieux dans leur bonté ? N’est-ce pas au jeu du pouvoir qu’il faudrait renoncer? Renoncer à toute la quincaille, aux stratégies révolutionnaires et aux programmes de parti ? Renoncer à tout ce sérieux ?
La mort rappelle aux vivants que la bonté s’enfuit quand la connerie demeure et qu’aucune révolution ne règlera cette injustice. Peut-être tenons-nous là une différence de taille entre faire de la philosophie « en politique » et faire de la politique « en philosophe ». La première manière conjurera cette catastrophe, la domestiquera, la rendra acceptable. La seconde, la rappellera, la restaurera dans sa priorité, jusqu’à l’inacceptable. La première pourra se dire de parti ; la seconde, de rien du tout.
Il y avait une amicale nostalgie dans son regard.
La mort aura toujours un train d’avance sur la révolution.
……….
(Publié le 13 janvier 2010 par bernat)