La part du diable
- La lecture de textes philosophiques ne garde un caractère printanier que pour le dilettante, le lecteur occasionnel. Le spectateur. Quand on connaît, à force de répétition, des textes entiers par cœur, que la logique d’un philosophe nous est parfaitement connue, ses limites, ses points aveugles, ses impasses, nous ne sommes plus en face d’une philosophie mais d’une comptine. Progressivement, année après année, l’esprit se détache de ce qu’il a aimé par dessus tout au moment de la découverte. On ne défriche plus Kant comme au premier jour après vingt ans de pratique. On ne jubile plus tout à fait de la même manière en relisant pour la quinzième fois des aphorismes de Nietzsche. Platon est toujours excellent, bien sûr, mais la patine a usé le dialogue et le taon socratique ne mouche plus avec la même fraîcheur les camelots athéniens.
- Il existe très peu de témoignages, dans la littérature, qui font état de ce lent processus d’évanouissement. Le professeur de philosophie (je méprise sereinement tous ceux qui s’attribuent eux-mêmes le titre de philosophe) serait-il un peu honteux d’avouer que la philosophie n’échappe pas à la règle de la disparition ? La philosophie pourrait-elle finir par le quitter ? La philosophia perennis, par essence inoxydable, censée tout surmonter, s’exhale pourtant comme un parfum. Pour le whisky, les spécialistes évaluent l’évaporation à environ deux pour cent par an. La part des anges. Combien pour la philosophie ? Quelle part de philosophie s’évapore, année après année, de celui qui l’enseigne ? Que reste-t-il au bout de ce long processus, une fois passé de l’exaltation à l’exhalation complète ? La part du diable ?
- Faut-il aller jusqu’à la disparition de toutes les saveurs originelles pour goûter ce que pourrait être une pensée démonique, revenue à la fois des préjugés du commun et de ceux des philosophes ? La troisième métamorphose de l’alambic ? « L’exercice de la philosophie n’est pas fécond ; il est honorable », écrit Cioran dans un magnifique Adieu à la philosophie. Texte d’un démon précoce ? « A peu près tous les philosophes ont fini bien : c’est l’argument suprême contre la philosophie. » Philosopher à Saint-Emilion avec une bonne bouteille, entre gens intelligents, fins, cultivés, de bonne compagnie. Brillants même. Pas un mot plus haut que l’autre, un bouquet équilibré, des saveurs d’épices, une belle mise en bouche. Exercice très honorable. Pourquoi ne pas s’en contenter ? Je crains que la décision m’échappe.
- « Le philosophe est l’ivrogne de Dieu » écrit Nietzsche. Encore faut-il qu’il reste de l’alcool au fond de la bouteille. A quoi peut-on prétendre avec un vin passé ? A la vinaigrette du diable ? C’est alors que la philosophie si ronde, si charnue, si pleine d’elle-même tourne à la critique, que la critique se redouble avant de s’exhaler à son tour. Ne reste qu’une protestation, une colère sourde, violente et joyeuse à la fois, un chaos psychique pouvant prendre plusieurs formes en fonction des désirs du jour et des caprices de la veille. Une logique aberrante qui ne trouve aucune correspondance dans les livres. Peut-être un recul, une régression ? A moins que ce ne soit une avancée sensible vers un nouveau marais ? « Instruit de tous les délires », ajoute Cioran, devrais-je participer aux brigandages des loups ? « Nous ne commençons à vivre réellement qu’au bout de la philosophie, sur sa ruine, quand nous avons compris sa terrible nullité. » Nullité, le mot est mal choisi. L’alchimie est plus subtile. Une substance s’efface pour donner naissance à une autre. Nullité est bien trop moral. Même le diable sait cela.
- Commençons, comme Descartes en son temps avec la cire, par les choses les mieux connues : la caverne de Platon au Livre VII de la République. Pour le lecteur du texte de Platon, les prisonniers ce sont les autres et comme les autres sont nombreux, la caverne de Platon est toujours bien remplie. La caverne c’est le logement des autres de la pensée à travers les siècles. Le logis de ceux qui n’ont pas conscience d’être éloignés de l’essentiel. Ayant conscience de leur absence de conscience, le philosophe se réserve le droit de les loger, de se poser en surconscience de ces consciences aliénées. S’en suit tout un dispositif fictionnel (une caverne, un muret, un chemin, une sortie…) qui confère à ce privilège une réalité. Ce qui n’était qu’une prétention du philosophe à statuer sur la conscience serve se transforme, par la force d’un dispositif fictionnel, en une réalité incontestable : il y aurait quelque chose comme une caverne et des prisonniers. Si besoin, je pourrais à l’occasion nommer ces hommes et les mettre à l’index. Des siècles durant, par la force des croyances et des institutions, ce dispositif fictionnel a pu jouer son rôle. De là le succès du texte de Platon : la réalisation d’une hiérarchie entre les différentes consciences. Bien sûr il s’agissait toujours d’une fiction mais une fiction avec de tels effets de réel que les hommes finissaient par oublier sa nature fictionnelle.
- Plus une fiction est entourée d’une aura de mystère, plus elle s’adresse à des initiés ; plus elle invoque des puissances cachées, plus grands seront ses effets de réel. Le philosophe sait quelque chose sur la caverne de Platon que le profane ignore. Ce qui signifie ceci : il y a quelque chose à savoir de la caverne de Platon pour être philosophe et ce quelque chose d’un peu secret doit être enseigné par un philosophe. Il va de soi que le philosophe en question n’enseigne pas la fiction pour la fiction mais la fiction en tant qu’elle pointe un réel : il y aurait des consciences réellement aliénées. Aujourd’hui, nous disons plus volontiers des cons. Mais qu’advient-il lorsque tout le monde sait qu’il y a des consciences aliénées ? Que je le suis sûrement moi-même ? Qu’advient-il lorsqu’à force de diffusion le secret que porte en elle la fiction s’évente comme un vieux parfum ? La fiction devenue monnaie usée perd alors ses effets. Elle est dans toutes les bouches, elle s’échange aux quatre vents, elle se consomme, s’affiche, se publicise. Un café pour Socrate. Et plus on la consomme, plus elle se sait en somme, plus elle se déréalise jusqu’à rejoindre sa nature fictionnelle : ce n’était donc que cela, une fiction.
- Il va de soi que ce qui vaut pour la caverne de Platon vaut tout aussi bien pour d’autres constructions philosophiques. J’ose même dire pour toutes. Les constructions intellectuelles dites philosophiques reposent sur des fictions fondatrices. Ces fictions conservent un sens pour les hommes tant qu’elles induisent des effets de réel. Mais pour cela, il est impératif qu’elles soient entourées d’un certain secret. Sans le secret, la fiction se déréalise. Elle s’exhale. Paradoxalement, l’enseignement de la philosophie qui se voudrait clarifiant nécessite d’entretenir un secret qu’il fait naître à l’instant où il prétend atteindre une plus grande clairvoyance. Ce en quoi il entretient une forme de mystère qui peut rentrer en contradiction avec les saines exigences de la clarification rationnelle. Ce paradoxe apparent est connu de tous ceux qui ne font pas commerce des idées, autrement dit tous ceux qui n’ont rien à perdre en l’éventant.
- Ce qu’il est convenu d’appeler la fin de la philosophie pourrait avoir un autre nom : la réalisation intégrale du secret des philosophes par diffusion massive de leur secret. Le secret était pourtant bien gardé : l’enseignement de la philosophie et la préservation du secret ne faisait qu’un. Enseignement de contrebandier. Les philosophes ont dû souhaiter secrètement que leur philosophie reste secrète pour le plus grand nombre. Condition de leur préservation. Certains parmi ceux-là (pour des raisons de probité ?) sont sortis de la philosophie. Les non-philosophes dont parle Nietzsche. Il fallait sûrement qu’ils soient un peu amants de l’idée et peu enclin au pouvoir pour révéler que le secret du secret n’était autre que la perfection de l’apparence. Le réel n’est jamais qu’un effet de réel. Cela ne signifie pas que toutes les apparences se valent mais simplement qu’il faut inventer des apparences susceptibles de créer des effets de valeur. Car qu’entendions-nous précédemment par effets de réel sinon des effets de valeur ? Invention qui ne peut plus se faire au nom d’une réalité, ce réellement réel dont parle Platon dans la République et qui se tient forcément à l’extérieur de la caverne.
- C’est alors que se joue quelque chose de « bien plus violent que la pensée critique » pour reprendre la formule de Jean Baudrillard, bien plus terrible que ce que la philosophie a pu imaginer. Une pensée qui cherche à créer des effets de réel, autrement dit des effets de valeur, sans pouvoir se rassurer par une logique de la référence (être, réalité, vérité). Celle-ci ne fera plus usage de la négation comme d’une orthopédie corrective (ramener l’esprit à la réalité) mais comme un destin critique sans espoir de sortie. Cette hypernégativité est une activité critique qui ne pourra plus se fixer. Polémosophie, agonosophie pourraient faire l’affaire. Il y a de l’horreur dans cette situation, une dimension diabolique au sens strict : le diabolos est celui qui divise. Mais aussi une grande joie. La danse du diable ?
- L’agonie durera longtemps. Certains bon apôtres prétendent remettre de la philosophie, restaurer du sens et des valeurs ? Les philosophes sont convoqués au titre de plâtriers. On les voit partout. Mais la négation de la négativité, cette volonté de reformer l’unité sur les décombres laissées par l’opération défoliante de la violence critique, ne fait plus le poids, y compris quand elle est portée à l’écran par de séduisants philosophes. Rien qui puisse échapper à ses coups de griffes. Sonné, battu sur son propre terrain, le philosophe plâtrier, sur sa chaire branlante, menace : vous divisez quand l’heure est au rassemblement. Sa survivance mondaine sous le signe « philosophe, écrivain », marque déposée sur la stèle de sa dépouille, ne trompera personne. Silence, la disparition ne doit pas se savoir. Conservons la relique, empaillons le cadavre dans des universités populaires, animons ses membra disjecta dans des débats, plongeons les derniers moignons dans un magazine ou tout autre bocal formolé à la publicité d’ambiance.
- Cela ne suffit pas ? Qu’à cela ne tienne, grimons le défunt en méchant critique subversif, faisons passer le replâtrant pour le pire des profanateurs, cachons dans le placard, pour quelques siècles encore, le vilain secret : le philosophe est vaincu. Mais si l’issue du combat est certaine, comment se fait-il que les vainqueurs n’aient pas droit au chapitre ? Comment se fait-il que l’hypernégativité dont parle Baudrillard soit boutée hors du ring ? Comment se fait-il que les temps ne soient pas à l’agonosophie mais plutôt à la surabondante niaiserie de philosophie populaire, disponible en fichettes et douce à l’oreille ?
- C’est que l’époque est aux spectacles de catch – en politique comme en philosophie – pas aux combats de rue. Cela fait déjà belle lurette que l’on ne monte plus sur le ring des idées pour assommer les faisans mais pour épargner les copains. Cela fait belle lurette que les jeux intellectuels sont truqués. Demandez-vous pourquoi les tables de réunion ne sont pas carrées mais rondes. Une table ronde de cinq à six pour se réunir autour d’un débat ? Mais les angles bien sûr, les angles tuent si l’on vous y pousse et la critique sans filets vous y poussera. A la fin de l’histoire, le crépi des philosophes plâtriers manque cruellement de matière : trop de flotte rhétorique, trop peu d’essence divine. Certes les philosophes ont sapé des mythes mais ils en ont secrété de nouveaux, sapés à leur tour. Et voilà que l’on nous ressert, après Hegel, Nietzsche et Marx le credo de la philosophia perennis, en magazines qui plus est, celle qui nous rachèterait de tout, qui nous mettrait du baume au cœur ou sauverait les dépressifs des conséquences psycholéthales du grand marché des zombies. Soufflez sur la cabane de ces petits cochons, ces professionnels du replâtrage sans truelles, ce musée Grévin de la philosophie qui ose encore se dire vivante et le décor s’effondre. – Pourquoi souffler si fort, nous ne sommes que des catcheurs du dimanche, nous pensons pour de faux, écrivons pour de faux, philosophons pour de faux, nous n’avons plus de briques ! Allez souffler ailleurs, de grâce ! Sur cette affreuse jérémiade repose les derniers monnayeurs de l’immense croisade que fut la conquête du Bien par la pensée.
- Que reste-t-il ? A quoi ressemble la critique aujourd’hui ? Son triomphe est une farce, son combat une pantomime, ses conquêtes des bouffonneries. Aux premières loges du carnaval de la pauvreté intellectuelle, entre un scepticisme de foire et une critique de bazar, nous cherchons encore à faire un bon effet. Mais contre qui ? Au moins le philosophe avait du pain sur la planche, un adversaire à la hauteur. Il lui fallait saper le moral des troupes catéchétiques, effondrer les certitudes du dogme, dynamiter les fondations. Mais quand tout est déjà à terre, en vrac, aux mains des animateurs de braderies, à l’heure de la grande solderie historique, qui critiquer encore ? La baudruche journaliste ou la bourrique médiatique ? Le philosophe, écrivain ou l’écrivain, philosophe ? L’hédoniste du printemps ou celui de l’hiver ? Par quel bout attraper le comique des nouveaux marchands de religiosité ? Si la religiosité a pu être le pôle antagoniste de la philosophie, que reste-t-il de l’antagonisme une fois la religiosité débraillée ? Un grand carnaval ? La violence critique a peut-être vaincu son double mythique mais sa victoire ne ressemble à rien. Internet, saynètes, vidéos, comptines… et vous voulez que l’on vous prenne au sérieux ? De votre cirque, nous ne voulons rien savoir.
- Monter sur un tonneau pour vous mettre à la hauteur du dérisoire et de l’insignifiance de votre temps. Le pouvez-vous ? Etes-vous formé pour cela ? Y a-t-il des précédents, des maîtres à suivre, des doctrines déjà prêtes à l’usage ? Non, aucun antécédent, aucune période historique qu’il suffirait de décalquer pour rendre raison de nos insignifiants combats. La situation est inédite. Vous parlez de la Renaissance comme d’un renouveau de la pensée critique et vous appelez de vos vœux (y croyez-vous vraiment ?) une renaissance de la pensée critique ? Avez-vous suffisamment observé la foire alentour ? Avez-vous fait l’état des lieux ? Allez, en selle mes bons amis, la place est sans issues ! Mettez-vous à la hauteur de la bassesse de vos contemporains, prenez-le temps de repérer les stands des nouveaux margoulins.
- Vous préférez fuir loin de cet affreux théâtre ? Ne voulant plus les moyens vous renoncez aux fins de la critique. Au nom d’une critique noble c’est à l’intelligence critique que vous tournez le dos. Effrayés par les implacables conséquences de notre condition, vous désertez la place et vous vous payez le luxe, inconséquents que vous êtes, de pester contre tous les déserteurs dans des articles qui répondent encore au doux titre de « philosophie politique et critique ». Allez, en selle mes bons amis, venez faire éclater les dernières baudruches, inventons ensemble les expédients de demain, les techniques de combats ajustées aux pensées les plus basses, aux intentions les plus mesquines, aux plus insignifiantes liturgies des grotesques dépouilles de la philosophie.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j’aime à jamais, ma sœur d’élection,
Quand même tu serais une embuche dressée
Et le commencement de ma perdition. (1)
- Rien n’est plus insupportable que cette demande lancinante de consolation. Penser, c’est avant tout conspirer contre soi, vouloir sa perte, se faire mal. Une perte de haut vol qui ne laissera peut-être pas indifférents ceux qui assisteront à la chute. La chute de Satan, fatale dans la Légende des siècles de Victor Hugo, est une métaphore de la pensée autrement plus grandiose que celle du penseur de Rodin en position fécale
- Rien à attendre de très consistant de cette expérience descendante. Mais la collusion du bien et de la pensée est à ce point ancrée dans les esprits que l’idée d’une perdition volontaire semble pathologique. Le mal comme amputation malsaine du bien. « Si on est attiré comme je le suis par une forme de « rationalisme satirique », c’est-à-dire si on pense que la philosophie n’est surtout pas faite pour se raconter des histoires et tenir un discours idéaliste et consolateur, on a tendance à revenir toujours à Nietzsche. » (1) Non pas le Nietzsche bouée des imbéciles – Nietzsche oui, Platon non – mais le Nietzsche de « l’ironie impitoyable » ajoute Jacques Bouveresse, ironie de l’écrivain qui ne s’épargne pas et qui tombe de haut.
- Dans un système économique où tout doit être quantifiable en termes de plus-value dans la logique du bien, la dévaluation des mérites de la pensée sera forcément interprétée comme une insupportable concession faite au mal. Miner ce qui est censé faire obstacle au pire n’est-ce pas faire le jeu de l’ennemi ? C’est ainsi qu’un immense processus d’éjection est à l’œuvre, d’autant plus efficace qu’il prétend sauvegarder ce qui est menacé de toutes parts. Art, philosophie, culture. Si la frustration, explique justement Freud, est souvent préférable à la pseudo-satisfaction car elle laisse l’homme dans la réalité d’une tension contradictoire, la pseudo-critique achève sa liquidation dans une consommation irréelle de signes indifférents. Elle le déréalise.
- Si la critique absolue est un mythe philosophique, il ne reste, contre la pseudo-critique, que la frustration. Ne pas aboutir, ne pas se réaliser, échouer. C’est bien cela qu’il faut comprendre par la formule « ironie impitoyable ». Si la pensée est aujourd’hui dans un état pitoyable, constat qui n’est pas objet de démonstration mais de monstration, c’est qu’elle réussit partout trop bien. A se communiquer, à se diffuser, à se commercialiser. Elle est devenue l’autre nom du Bien. Ce qui ne s’évapore pas n’existe pas. Les anges de la philo réalité sont aussi des professionnels de la diffusion d’idées atmosphériques. Des as du dialogue et des parts de marché. Ils sont trop bons.
- Nul ne peut savoir quelle saveur particulière devait avoir le whisky dans les années 30 aux États-Unis pendant la prohibition. Si nous ne voulons pas disparaître avec les anges, si nous voulons rester en fond de cuve, il faut réapprendre le commerce clandestin des idées. Faites passer la bonne bibine critique mais sous le manteau, en secret, de mains à mains. Jean Baudrillard, décisif sur ces questions, avait compris intuitivement que la réalisation intégrale de toutes choses, pensée comprise, sous le règne du pseudo et de la simulation, condamnait la critique à une forme de clandestinité. « Tout doit se passer clandestinement. Le marché officiel de la pensée sera tenu pour universellement corrompu et complice de la prohibition de la pensée par la cléricalité dominante. » (3) La pensée ainsi comprise ne peut se situer du côté de la réussite et de l’efficacité. Rien à voir avec le snobisme du dandy. Les raisons de cette dissidence ne tiennent pas à des conflits d’égos, encore moins à des questions d’école. Elles sont structurellement liées à un déni de frustration qui précipite tout et n’importe quoi vers sa pseudo-réalisation. L’association de la médiocrité intellectuelle de certains et du qualificatif de philosophe, tout en créant de puissants effets comiques, nous invite à passer sous les radars. La prohibition n’est plus un effet de la censure mais de l’incontinence.
- Quand tout vous pousse à réussir, quand tout conspire pour votre bien, il est d’autant plus dur de se battre pour réaliser sa propre vinaigrette du diable. Si les moyens changent, les hommes eux restent embourbés dans les mêmes passions. Pour quelle fausse raison serait-il plus facile de se procurer de la pensée aujourd’hui qu’hier ? Pour quelle fausse raison aurions-nous perdu l’énergie de peindre en douce, hier le Mal aujourd’hui le Bien, et leurs séquelles ?
C’est un satirique, un moqueur ;
Mais l’énergie avec laquelle
Il peint le Mal et sa séquelle,
Prouve la beauté de son cœur (4)
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(1) Charles Baudelaire, Fleurs du mal, « Femmes damnées »
(2) Fleurs du mal, « Vers pour le portrait de M. Honoré Daumier »
(3) Jean Baudrillard, Le crime parfait, Paris, Galilée, 1995.
(4) Fleurs du mal, « Vers pour le portrait de M. Honoré Daumier »